Réduire la consommation de carburant, et donc les émissions de CO², devient un enjeu vital pour les entreprises face à l’explosion des prix de l’énergie. Qu’il s’agisse de mieux gérer son exploitation, son parc, ses performances de conduite, ou d’opérer une optimisation collaborative de la chaîne logistique entre chargeurs et transporteurs, nombre de solutions sont informatiques.
C’est “non-stop” que la flambée des prix de l’énergie alimente l’actualité de cet automne 2021, après un été largement marqué par une succession de catastrophes naturelles. Des États-Unis à la Russie en passant par l’Allemagne, aucun continent n’a été épargné par les inondations, les sécheresses, les incendies. Aujourd’hui, le monde est pris d’un accès de fièvre sur les tarifs du charbon, de l’électricité, du gaz et du carburant, qui s’accompagne de pénuries de ressources – en particulier des métaux. En conséquence, les chaînes logistiques sont déstabilisées. Les industriels réduisent leur production.
En octobre 2021, l’OTRE (Organisation des transporteurs routiers européens) a lancé un cri d’alerte :
« Avec une hausse d’environ 28% constatée depuis le début de l’année, le prix du carburant s’affiche aujourd’hui à des niveaux jamais atteints. Il augmente régulièrement chaque semaine. Ce constat est également une réalité pour les véhicules roulant au gaz. Cette situation inquiète les entreprises qui peinent à répercuter les surcoûts ».
L’OTRE constate également une hausse sur les trois derniers mois de plus de 30% du prix de l’Ad Blue (56% depuis le début de l’année) qui s’ajoute à la hausse du gasoil.
1170 entreprises engagées pour réduire leur consommation de carburant
Ce contexte inédit souligne comme jamais la nécessité de maîtriser la consommation de carburant, et les émissions proportionnelles de gaz à effet de serre (CO2), tant pour des raisons économiques qu’environnementales. Le gazole représente le second poste de charge des entreprises de transport, après le social.
Les PME du secteur travaillent le sujet depuis plus de 10 ans. Le transport routier de marchandises s’est largement associé, dès 2008, à la Charte d’engagement volontaire de réduction des émissions de CO2 – programme Objectif CO2 de l’ADEME, l’agence de la transition écologique. À ce jour, plus de 1400 entreprises sont impliquées, dont 1170 dans le TRM, représentant plus de 2 millions de tonnes de CO2 évitées, selon l’Agence.
Partage d’informations environnementales
Cette charte a été complétée par le Label CO2 en 2015, puis par le programme EVE (Engagements Volontaire pour l’Environnement) en 2018. « Le Label est la reconnaissance d’un niveau de performance énergétique et environnementale élevé pour les transporteurs les plus vertueux. Toute entreprise peut faire une demande de labellisation sur le site objectifCO2.fr qu’elle soit ou non engagée dans la Charte et bénéficie d’un accompagnement par un chargé de mission, indique l’ADEME. L’attribution du Label s’appuie sur un audit indépendant qui vérifie la fiabilité des données et l’atteinte d’un niveau suffisant de performance environnementale. Le label est décerné pour 3 ans. Un contrôle annuel permet de vérifier que la tendance est poursuivie par l’entreprise. »
Le programme EVE, quant à lui, coordonne l’ensemble des acteurs de la chaîne logistique. Il vise le partage d’informations entre les transporteurs, les chargeurs et les commissionnaires de transport, avec une plateforme publique d’échange de données environnementales. Gratuite, celle-ci œuvre à standardiser les échanges sur les quantités de GES émises entre les parties. Les indicateurs de performance peuvent être transmis en ligne.
Si les transporteurs ont un intérêt évident à réduire leur consommation de carburant, à optimiser leurs itinéraires et leurs chargements, ils sont aussi sous pression de leurs donneurs d’ordres, comme le confirme Nicolas Davril, directeur transport chez Leroy Merlin :
« Nous exigeons que nos transporteurs soient engagés dans la Charte Objectif CO2 (ou le Label), avec un délai d’un an pour satisfaire cette condition. Dorénavant, nous réaliserons un nouvel appel d’offre tous les trois ans, afin de donner de la visibilité aux transporteurs qui travaillent avec nous. C’est un gage de partenariat, qui justifie aussi nos exigences de performance. »
4 axes de travail : le véhicule, la consommation carburant, le conducteur et l’organisation des flux de transport
La donnée est au cœur de toutes ces démarches. Pour réduire ses émissions, il faut déjà pouvoir les calculer, c’est-à-dire estimer la consommation de carburant de ses activités, globalement mais aussi par agence, par client, par tournée, par véhicule, etc. C’est ce que l’ADEME appelle “ le diagnostic CO2 ”, qui doit mener à définir un plan d’actions sur trois ans, et selon quatre axes : le véhicule, la consommation de carburant, le conducteur et l’organisation des flux de transport.
L’axe poids lourd, par exemple, considère la modernisation et l’ajustement du parc à son usage ; les solutions techniques de bridage de la vitesse et de coupure automatique du moteur au ralenti, l’amélioration de la maintenance des VI, et dans la température dirigée, le choix du système de production de froid. L’axe carburant vise l’utilisation d’énergies alternatives et l’amélioration du suivi des consommations. L’axe conducteur préconise la mise en place d’un programme d’éco-conduite, qui nécessite forcément des données fiables, objectives, sur les performances au volant. Quant à l’organisation des flux, elle se compose d’outils informatiques d’optimisation des trajets, du chargement, mais aussi d’un travail collaboratif avec les clients pour une meilleure optimisation.
La formation au centre du jeu pour diminuer sa consommation
Pour Luc Serveau, expert environnement et développement durable dans le transport routier, longtemps actif à la FNTR, la « conso » est d’abord une affaire de méthode, de relations humaines, qui vise aussi et surtout à améliorer les performances et la compétitivité d’une entreprise de transport. Dans la même logique que la RSE (responsabilité sociale des entreprises), les volets environnementaux, économiques et sociaux doivent se rejoindre. Seuls des processus « gagnant-gagnant » peuvent motiver les entreprises.
« Une démarche de réduction du poste gazole joue sur la qualité des relations de travail et la prévention du risque routier, explique-t-il. Elle favorise les bonnes pratiques qui mènent à l’industrialisation du métier. Pour retrouver de la compétitivité, l’outil nécessaire est indéniablement l’informatique embarquée ou mobile, interfacée avec le plan transport (TMS). La télématique améliore la qualité de service et les échanges d’informations dans le triptyque chargeur-exploitation-conducteur. Elle est un support à l’exploitation, avec le suivi des consommations gasoil via des alertes, mais aussi la traçabilité des marchandises, la gestion sociale, la sécurité routière et la maintenance préventive ». Et de souligner qu’au final, c’est le conducteur qui a le dernier mot. Le « high tech » dans l’interface homme-machine ne remplace encore l’humain. D’où la place centrale de la formation, qui représente souvent la moitié des gains enregistrés dans une politique de réduction du carburant.
Les entreprises du TRM témoignent
Les témoignages de transporteurs qui suivent expriment la dimension globale, humaine et collaborative, en interne comme en externe, de toute politique d’optimisation énergétique. L’outil informatique est essentiel, mais cela reste un outil.
Derval : Fiers de ses actions
« Nous sommes fiers de voir les résultats de nos actions, affirme Dominique Derval, co-gérante des transports Serge Derval (TSD) près d’Angers (49), qui a obtenu en 2016 l’un des premiers “Label CO2” dans le TRM. Les premières années de notre engagement, nous avons largement réduit nos émissions, et poursuivons notre démarche d’amélioration continue. Les équipes ont bien adhéré. Nous sortons et analysons chaque matin les indicateurs qui permettent à l’exploitation d’optimiser les décisions. La rentabilité de l’entreprise et le respect de l’environnement forment un tout indissociable. »
Premat : Mettre en relation les données
Autre signataire précoce de la Charte CO2 et détenteur du Label, Premat est le leader francilien du transport de produits en vrac. Loïc Neraudau, Directeur informatique, qualité, hygiène, sécurité et environnement (QHSE) des Transports Premat, souligne : « Nous travaillons notamment sur les fonctions d’éconduite, qui nous permettent d’opérer une analyse comparative des performances de nos conducteurs, quelle que soit la marque des véhicules moteurs – selon les activités, des poids lourds Volvo Trucks, Renault Trucks, ou Mercedes-Benz. L’informatique embarquée nous permet de mettre en relation les données de consommation avec un ensemble d’informations autres – les parcours, les données sociales, la cartographie, et surtout, les missions réalisées. »
Caille : Responsabiliser le personnel roulant
Bertrand Caille, P-dg du groupe éponyme à Laon (02), confirme l’importance des nouvelles technologies comme levier de performance : « Nous utilisons la télématique au maximum de ses capacités, y compris sur le plan de la conduite rationnelle, des consommations. Tous les mois, tous nos conducteurs reçoivent une fiche technique récapitulative de l’optimisation de l’utilisation de leur véhicule.
Au cours des 10 dernières années, nous avons gagné environ 10 litres aux 100 km.
Nous affichons aujourd’hui environ 28 L sur la moyenne du parc. Même logique au niveau de l’analyse des accidents, au moyen cette fois d’un logiciel fourni par notre courtier d’assurances. Nous sommes descendus sous la barre des 0,4 dégâts matériels – un feu cassé, un plot abîmé, etc – par conducteur et par an. Cette dynamique vise aussi à responsabiliser notre personnel roulant. Les conducteurs apprécient. »
Malherbe : Gagner en compétitivité
Chez Malherbe, l’un des groupes leader du transport national, la bataille se joue sur le terrain technologique, mais aussi sur la méthode. « Les clients sont très sensibles aux réponses que nous pouvons leur apporter sur le plan environnemental, ainsi qu’à nos résultats. Intégrer efficacement ces exigences permet de gagner en compétitivité et de se démarquer de la concurrence, tout en véhiculant une image positive auprès de la société », affirme l’entreprise.
L’environnement constitue un processus à part entière du système de management. Le groupe a identifié 11 processus liés à la diminution des consommations de gasoil (équipements, logiciels, gestion des conduites rationnelles, etc) et à l’optimisation des flux (kilomètres parasites, chargements, etc.), qui sont liés à des investissement matériels. Chacun comprend une analyse de risque, un pilote, des indicateurs de performance et fait l’objet d’un état des lieux approfondi lors de revue de direction semestrielle.
« L’enjeu majeur consiste à réduire nos émissions de CO2 (relativement aux tonnages transportées). Cet acte vertueux pour la société est l’exemple parfait du développement durable. Il produit une image « verte » et passe par une diminution des consommations de carburant, donc de nos charges variables. Nous avons officialisé notre démarche en signant, en avril 2010, la charte « objectif CO2 » de l’ADEME. Cet objectif prévoyait de réduire nos émissions de 9% de 2010 à 2012. Nous avons réalisé une réduction de 9.6%. En juin 2013, nous nous sommes réengagés pour un nouveau cycle de 3 ans avec un objectif de 5%. En plus de structurer notre démarche et de nous inciter à nous projeter sur le moyen terme, le tableur de l’ADEME présente l’avantage de visualiser les retours sur investissements. »