Carole Dupessey est Présidente de Dupessey & Co, un groupe français indépendant spécialisé dans les solutions globales de transport et de logistique basé à Rumilly, en Haute-Savoie. Fondée par Serge Dupessey en 1955, l’entreprise familiale a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 110 millions d’euros en 2020. Elle compte aujourd’hui 550 collaborateurs. Ancienne avocate, très impliquée dans sa profession, Carole Dupessey est engagée depuis des années dans des actions sociales et dans la transition écologique.
Dans un contexte de pénurie de conducteurs, elle nous partage sa vision en portant un discours très humain sur les problématiques et évolutions du transport.
Des modes de vie qui ont bien évolué
Les métiers du transport sont multiples, et se transforment selon des schémas analogues aux évolutions sociétales en France. Le cœur du sujet, ce sont les ressources humaines.
Les ressources humaines, un enjeu primordial
Quelles sont selon vous les principales évolutions des métiers du transport ces dernières années ?
Il y a 25 ans, les personnes intégraient notre entreprise avec l’envie d’y rester, parfois toute leur vie. Nous n’avions pas de souci de recrutement. Aujourd’hui, qu’il s’agisse des conducteurs, des exploitants, des manutentionnaires, des mécaniciens, etc., tous les postes connaissent une pénurie d’emplois.
Notre service RH compte deux priorités : bien recruter, et bien intégrer les nouveaux arrivants pour les conserver.
Comment expliquer ces difficultés de recrutement ?
Il s’agit tout d’abord d’un changement de mentalité. Les générations précédentes étaient beaucoup plus axées sur le travail comme objectif de vie. L’activité professionnelle était au centre de tout. Aujourd’hui, nos collaborateurs ont une autre vision, ils veulent une vie de famille, et c’est parfaitement compréhensible ! Je le dis régulièrement à nos équipes : on ne reviendra pas en arrière ! Il faut accepter que les jeunes ne soient plus prêts à travailler jusqu’à pas d’heure.
Nous le constatons dès le recrutement. Les conducteurs ne veulent plus partir toute la semaine. C’est un peu compliqué quand on fait du transport international… Et en zone courte, ils demandent à avoir des horaires fixes, notamment pour aller chercher les enfants à l’école. Ce que l’on peut comprendre, naturellement. En conséquence, un client en retard, un chargement qui s’éternise peut devenir compliqué à gérer avec son personnel roulant.
Cette évolution touche-t-elle aussi le personnel sédentaire ?
Tout à fait. D’ailleurs, il y a deux ans, j’ai fait réduire les heures à l’exploitation. On ne peut plus demander aux gestionnaires de flotte de rester jusqu’à 20 h et plus. Il faut s’organiser autrement.
Préserver la vie familiale, c’est tellement important, même si cela complique la vie des patrons d’entreprise.
Si l’on n’est pas bien à la maison, cela se répercute au boulot. Tout est lié. Chez Dupessey & Co, nous avons instauré une semaine de congé paternité avant même que le gouvernement prenne des mesures en ce sens – d’ailleurs, en juillet 2021, la durée légale est passée de 11 à 25 jours.
Des paramètres écologiques et économiques de plus en plus présents
À tous les niveaux de l’entreprise, la révolution de l’informatique, des outils de traçabilité, a profondément transformé les métiers du transport. Comment analysez-vous cet impact ?
Avec le recul, on se rend compte que le “bon conducteur” d’aujourd’hui n’est pas le “bon conducteur” d’hier. Jusqu’à il y a une dizaine d’années, on demandait simplement aux conducteurs d’arriver à l’heure au rendez-vous, de ne pas avoir d’accident, de travailler correctement à décharger chez le client.
L’instauration d’une politique d’écoconduite – dont je ne nie pas la nécessité tant pour des raisons économiques qu’environnementales – a engendré une vraie remise à plat de ces questions.
Nous disposons aujourd’hui de multiples outils informatiques pour suivre et analyser la consommation de carburant de nos conducteurs, qui est devenue un sujet central. L’informatique embarquée nous permet d’identifier des kilomètres parasites. Forcément, certains conducteurs qui n’avaient jamais été convoqués et dont on a remis en question le style de vie n’ont pas apprécié le changement. Par exemple, certains faisaient un petit détour pour manger dans un restaurant où ils ont des affinités, et du jour au lendemain, ce n’était plus possible !
Aujourd’hui, on ne ressent plus ces conflits dans l’entreprise. Mais il y a 10 ans, la transition ne s’est pas faite sans mal.
Devant la pénurie de conducteurs, peut-être payons-nous aujourd’hui le prix d’une politique continue de réduction des coûts ?
C’est possible, mais en même temps, quels regrets pourrions-nous avoir ? Il faut bien consommer moins de carburant ! On ne peut pas rester impuissant devant la dégradation de l’environnement, le réchauffement climatique. Et bien sûr, il y a la question économique, la pérennité de l’entreprise.
Ne pas réduire notre consommation, donc nos coûts, ce serait mettre en péril la PME et ses emplois.
En 2009, quand j’ai pris la Présidence du groupe pendant la crise économique, nous avons remis à plat la politique RH. Nous avons été obligés de mettre en place des procédures de suivi par géofencing, des indicateurs de rentabilité par tournée, par conducteurs. Il nous a fallu améliorer la rentabilité et aller chercher des gains en rationalisant nos processus. 13 ans plus tard, on se rend compte que cette évolution était inéluctable, puisqu’elle nous permet aujourd’hui d’être en phase avec la transition écologique et énergétique. D’ailleurs, la même évolution touche l’exploitation. Après 10 ans d’optimisation continue de nos moyens, une trentaine d’exploitants est aujourd’hui dédiée à l’optimisation des flux.
La nécessité d’une approche RSE
L’évolution du métier, c’est aussi celle du patron de transport qui doit jongler entre toutes ces problématiques…
Effectivement, en 25 ans de métier, on n’a jamais connu pareille situation. Des coûts qui augmentent à tous les niveaux, des pénuries de matières premières donc des difficultés pour acquérir des véhicules… Sans remettre en cause l’ensemble de notre profession, je milite pour des transporteurs responsables et des flottes « propres », moins polluantes.
Mais au-delà de l’approche énergétique, la dimension RSE (responsabilité sociale des entreprises) me paraît essentielle.
Il n’y a pas que les camions dans la RSE ! La mixité hommes-femmes, le bien-être au travail, la progression de carrière dans l’entreprise, voilà des thèmes qui nous permettent de redonner du sens à nos métiers, et donc de retrouver de l’attractivité.
L’évolution de notre métier est aussi la conséquence des changements de relations commerciales avec les clients. Il y a 20 ans, nous appliquions des augmentations de nos tarifs tous les ans, souvent sans négociation. Forcément, il était plus facile de procéder à des augmentations régulières des salaires. La parole donnée avait un sens. Aujourd’hui, tout est remis en question tout le temps. Il est beaucoup plus difficile de gérer une entreprise de transport.
La RSE, comment cela se passe concrètement chez Dupessey & Co ?
Nous avons un responsable RSE et une petite équipe que nous venons de renforcer. À titre d’exemples, 25 % du résultat annuel est investi dans l’amélioration des conditions de travail. Depuis 2019, tous nos véhicules sont équipés d’une climatisation autonome et d’un réfrigérateur. Chaque année, nous consacrons 1950 heures à la formation de nos équipes. Nous sommes certifiés ISO 9001, 14001, 50001…
En outre, depuis 50 ans, nous n’avons jamais réalisé de plan social, même en période de crise. Il faut aussi noter notre engagement dans des actions de solidarité. En 2018, nous avons créé le fonds de dotation Demains, qui soutient des actions de solidarité en matière d’écologie, d’éducation, de santé et de culture.